Psychoonline Marie meerschman

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L’effet de compensation morale

Table des matières

Commençons par la clinique…

Xavier ne fume plus de cannabis depuis 3 mois.  Après une période un peu compliquée pour lui où il a du mettre en œuvre et expérimenter diverses stratégies, il observe et expérimente les avantages de cet arrêt (davantage de souffle après la séance de sport, la possibilité de dépenser son argent pour se faire des plaisirs qui ne partiront pas en fumée : vêtements, cinéma…, un esprit plus vif, une meilleure concentration en cours, des notes qui augmentent et bien évidemment (à croire que c’est intrinsèquement lié)… des parents qui recommencent à lui faire confiance : donc plus de sorties, à nouveau de l’argent de poche etc etc ). Xavier n’a pas de problématiques psychiatriques, son humeur est bonne, il est bien entouré.  Voilà plusieurs séances qu’il n’y a plus eu de consommations et nous décidons de laisser un délai plus long avant le prochain entretien. Le temps passe et Xavier revient me voir, à l’heure et souriant. Il m’annonce qu’il a fumé à nouveau… Mais attention! Et c’est là que ça devient intéressant : il a de bonnes raisons, eh oui Madame!! Vous l’avez pris pour qui? Un vulgaire individu incapable de résister à l’appel d’un morceau de shit? Non, notre ami Xavier vaut bien mieux que ça, il a de bonnes raisons : Je vous sens frétillants d’impatience de savoir lesquelles! Voici la situation : « Je me suis dit qu’avec tous les efforts que j’ai fait depuis que je viens vous voir (il me les énumère : j’ai mis de côté certaines fréquentations (ouf! quelle plaie c’étaient ceux là), je me suis réinscrit au foot le samedi et je ne fais plus de grasses matinées pour les matchs du dimanche (me regarde comme pour vérifier que je saisis bien le degré de difficulté que notre suivi à engendrer dans sa vie), j’ai galéré à m’endormir pendant des semaines sans mon joint « pour dormir » (petit aparté : en addictologie, le joint du coucher est surnommé « le joint pour dormir », en plus d’avoir un nom rien qu’à lui, il est d’une ténacité féroce, si un jour j’ai le temps je vous le présenterai plus en détail)… reprenons: je suis venu ici à l’heure, je me suis motivé à fond!!! -Oui, continue -Ben du coup pour me récompenser quand même je me suis dit que je méritais bien d’en fumer un petit. » Comment expliquer rationnellement ce comportement qui est va à l’encontre de tous les efforts mis en œuvre ? De ces heures de doute, ces litres de sueur nocturnes, cette remise au sport, ces envies irrépressibles qu’il a fallu combattre avec à la force de ses petits poings…

L’effet de compensation morale, explication

Nous avions vu dans un article précédent que l’être humain est doté de raison mais que cette raison suivait des règles parfois peu pertinentes, et ce n’est rien de le dire. Nous sommes fait ainsi, nous sommes emplis de contradictions, de biais cognitifs…(nous aussi psychologue nous ne sommes pas épargnés? Nous sommes soumis au même fonctionnement, même cerveau facilement dupé !!! Ah Ah Ah !!! Et quand bien même nous connaitriions tous les biais cognitifs nous n’en serions pas épargnés pour autant!). « Alors à quoi ça sert de le connaitre ce biais? » me demanderiez-vous fort justement. Dans le cadre d’un suivi d’une personne abstinente, ça sert à le prévenir (le biais), à l’anticiper et à limiter ses effets. Comme dirait Sun Tzu (que j’aime beaucoup):
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, même avec cent guerres à soutenir, cent fois tu seras victorieux »
C’est ce même biais de pensée qui est à l’œuvre chez les personnes que nous recevons en post-cure (CTR : Centre Thérapeutique Résidentiel) et qui se mettent « la tête à l’envers » juste avant de venir (entre la cure et la post-cure, avec comme pensées sous-jacentes : « j’ai fait beaucoup d’efforts pour ma cure et je vais continuer en post-cure donc je m’accorde ce petit écart bien mérité. J’ai bien le droit quand même !! ». Ce qui donne:

« je suis sevré (mais comme j’ai bien galéré et que l’après va être tout aussi compliqué): je vais me récompenser donc je vais consommer! Et comme ce que mon cerveau réclame comme récompense c’est le produit alors je vais le satisfaire ». CQFD Si et seulement si je considère que je le mérite alors je me récompense par un comportement non valorisé moralement.

« L’effet de compensation morale stipule qu’un individu qui a effectué une action qui le valorise moralement va se permettre plus facilement d’adopter par la suite un comportement moralement répréhensible. Ceci est vrai également quand l’action jugée positivement est simplement anticipée. »
Cet effet est sous-tendu par des pensées permissives telles que « c’est pas pour une fois », « je l’ai bien mérité », « aujourd’hui c’est pas la même chose »… Cela fonctionne comme si l’individu pouvait cumuler des bons points pour ensuite les échanger par un « bon pour faire n’importe quoi sans culpabiliser ».
Il y a un effet compensatoire rassurant qui permet de garder une cohérence, une image positive de nous-même.
La culpabilité est ainsi chassée de la conscience laissant la personne « en paix ». L’effet de compensation morale se rapproche de la Dissonance Cognitive en cela que la personne sait qu’elle adopte un comportement répréhensible tout en réduisant le sentiment de tension interne. C’est le cas des personnes qui vont entamer un régime (dès demain c’est sûr) et qui sont soulagées d’avoir eu cette pensée leur permettant aujourd’hui de se faire un « dernier » fast-food arrosé d’une crème glacée géante pour fêter ça. Plus récemment : les végétariens convaincus qui sont contre la souffrance animale et qui se permettent un toast de foie gras à noël « parce qu’aujourd’hui on a bien le droit » et que « j’ai fait attention toute l’année ». Et on ne compte plus le nombre de personnes qui mangent un repas gras et sucré à souhait parce qu’ils l’ont bien mérité quand même après cette séance d’abdo-fessiers ! Nous voilà donc face à toute l’ambivalence de l’être humain et de son cerveau (qui est tiraillé entre la recherche de récompenses immédiates et le cortex capable d’élaborer des objectifs à long terme): -on veut maigrir, on se trouve des bonnes raisons pour manger plus et moins bien -on veut arrêter un produit et on se récompense d’avoir réussi en reprenant ce même produit ! (Mr et Mme Logique, veuillez détourner la tête un instant je vous prie) -on est contre la pollution mais on prend l’avion (parce que j’ai pris mon vélo toute l’année pour me rendre au boulot). -je vais au Mc Bip et je prends un menu Géant avec sauce mais une bouteille d’eau plate s’il vous plait (non, je ne mets pas mon pull sur mes fesses pour les cacher, non, ça ce sont vos croyances ! Contentez vous de me donner ma bouteille d’eau et  vous rejouterez un cookie, je pense aller à la salle de sport demain matin).

Le problème c’est qu’en addictologie les conséquences peuvent être fâcheuses…

Cet effet à des conséquences parfois catastrophiques en addictologie car si le végétarien est capable de manger du foie-gras sans « tomber » dans le côté obscur, que l’écolo ne va pas devoir lutter contre des conséquences trop fâcheuses s’il prend l’avion cet été, la personne dépendante à un produit aura quant à elle beaucoup de mal à reprendre le contrôle de ses comportements. Le souvenir hédonique lié au produit et son effet sur le circuit de la récompense est à nouveau enclenché… Et même s’il n’y a pas de rechute immédiate, il faut à présent travailler sur les pensées qui risquent d’apparaître et de se renforcer : -« J’ai arrêté pendant 1 ans. Le mois dernier j’ai bu un verre pour l’anniversaire de ma fille et depuis plus rien, je n’en ai même pas eu envie… (Mécanique de la pensée qui fait tourner ses roues dentées…engrenage qui s’emballe) DONC c’est que je suis capable de gérer sans aucun souci (pensée rassurante, estime de soi qui augmente), DONC je peux reprendre un verre vendredi soir après le boulot. Après tout j’ai bien travaillé et je peux m’accorder un petit moment de détente !!! » (Pensée permissive qui surgit et effet de compensation morale : voyant rouge qui clignote !). -«Je suis restée enfermé 2 mois à l’hôpital pour mon opération du genou (est tombé de l’escalier suite à une prise de produits). Franchement, j’ai douillé !! Quelle galère, je ne pouvais même pas voir mes enfants, ma femme n’est jamais venue me voir ! Et par-dessus le marché, mon père m’a annoncé qu’il avait une tumeur aux poumons. Pff, je me demande si ça vaut le coup de continuer mes efforts. En sortant, je vais aller voir mes potes, après tout ce qu’il m’arrive j’ai quand même bien le droit de m’amuser ».
Il est nécessaire de travailler sur les pensées permissives qui abaissent la vigilance et augmentent le risque de rechute. Ne nous focalisons pas sur les circonstances : les pensées expliquent la majorité des comportements de reconsommation.

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Marie Meerschman, psychologue

Marie Meerschman, psychologue

Psychologue Clinicienne, Psychothérapeute, formée aux TCC ou Thérapies Cognitivo-comportementales, je vous propose des consultations en ligne, de chez vous, avec ou sans visio.