« Il n’y a pas de chemin vers le bonheur. Le bonheur est le chemin »
Lao Tseu
Le Bonheur… un vaste sujet
Les personnes qui viennent nous consulter ont toutes cette même préoccupation : accéder à un état intérieur meilleur (que ce soit arrêter la consommation de produits, se stabiliser sur le plan de l’humeur, gérer leur colère, vaincre leur stress, soigner leur phobie…).
Comment peut-on aider les personnes que nous accueillons à marcher sur le chemin du bonheur ou en tout cas les amener progressivement vers un potentiel « je me sens bien », « je me sens mieux », « j’ai moins mal », « je vais mieux »? Faut-il pour cela que nous les accompagnions sur un chemin dénué d’obstacles (de contraintes, d’épreuves, de renoncements, de deuils…)? Est-ce en leur donnant les moyens de franchir les montagnes que la vie place sur leur route ou en les évitant? L’absence de pathologies psychiatriques, la liberté, les biens matériels sont-ils des conditions suffisantes au bonheur ? La tâche est ardue et cet article n’a pas vocation à être exhaustif. Je me propose ici, d’en explorer une infime partie en revenant sur la clinique…
Lors d’ entretiens familiaux, j’entends des mères, des pères, épuisés et débordés par les comportements de leur adolescents, me dire « Mais nous tout ce que nous voulons c’est qu’il soit heureux !!! Qu’il retrouve cette joie de vivre qu’il avait quand il était enfant quand il jouait avec ses frères et soeurs (…) vous comprenez on ne le sent pas heureux, il est éteint, triste ». Et l’adolescent de répliquer : « Alors laissez-moi faire ce que je veux, vous me dites que vous voulez que je sois heureux et vous ne me parlez que de mes résultats scolaires: « tu as fait tes devoirs? tu as eu des notes aujourd’hui etc… et de ce fichu joint que j’ai fumé il y a un mois… sans déconner, c’est vous qui me mettez la pression, lâchez moi ! C’est bon, on peut pas respirer avec vous. Je ne peux rien faire: je ne peux pas sortir, je ne peux pas voir mes amis quand je veux, je pas aller au skate-park…!!! ».
Et le bon père de famille qu’on reçoit et qui attend de nous un remède miracle : « Comment fait-on pour être heureux ? Je veux dire, j’ai tout pour l’être (énumération) : un job qui me convient, des collègues sympas, une femme que j’aime, des enfants qui réussissent leurs études, une maison dans un endroit calme, on part en vacances tous les ans, je ne suis pas malade … j’ai même un chien (rires) et la voiture de mes rêves, et pourtant je ne suis pas heureux. Vous comprenez? Alors, c’est vrai, je l’avoue (ici je peux tout dire), de temps en temps je me dis que j’ai bien le droit de prendre un petit verre. Au moins je me détends, je me sens mieux un moment …vous voyez ? Mais je sens bien qu’il me manque quelque chose. Qu’est-ce que vous me proposez ? Vous savez quoi faire « vous les psychologues » dans ces cas-là, non? » (eh oui il faut bien que l’on serve à quelque chose quand même)
C’est intéressant de se poser la question : qu’est-ce que je propose ?? Le psychologue (comme le coach, l’éducateur, le yogi, le sophrologue…) n’a pas de baguette magique (monde cruel !).

Le Felix Felicis d’Harry Potter, cette potion qui permet de se sentir chanceux et libéré de tous soucis n’existe pas… ou alors dans cet alcool à faible dose que prend ce monsieur ? Mais comme pour Harry, l’effet est éphémère et la réalité reprend rapidement ses droits. Les paradis artificiels sont un écran de fumée.
Le bonheur se trouve t-il dans les biens matériels ? Et s’il suffisait d’être riche?
« L’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue » me direz-vous (non mais franchement, qui pourrait bien dire le contraire de nos jours? Ne vous a t-on jamais posé la question : tu préfères être laid et très riche ou très beau et très pauvre? La réponse revient souvent à dire l’un ou l’autre car avec l’argent j’achète la beauté (chirurgies) et avec la beauté je trouverai bien un homme ou une femme riche qui voudra de moi. CQFD dans tous les cas on veut de l’argent et grâce à cela on aura tout le reste: ici la beauté.
Et bien oui dans un sens vous avez raison, mais à cela il y a une nuance.
Je ne prétends pas ici apporter une réponse à cette question et des éminents spécialistes se penchent encore actuellement sur la question dans des laboratoires de recherche dédiés au sujet.
Je voudrais juste revenir sur les deux cas évoqués plus haut et évoquer certains points, prouvés scientifiquement, qu’il nous faut garder en tête :
Notre niveau de bonheur n’est pas lié à nos possessions ni à notre compte bancaire : Il existe effectivement un seuil en dessous duquel le fait d’avoir davantage d’argent nous rend en parallèle davantage heureux, mais ce seuil représente la satisfaction de nos besoins primaires : manger, boire, se sentir en sécurité, avoir un toit sur sa tête… L’argent rend plus heureux les personnes les plus pauvres. Quel milliardaire peut estimer avoir un niveau de bonheur qui grimperait de façon exponentielle avec son compte en banque? (surtout s’il est déjà beau).
Le psychologue ne conseillera donc à personne de gagner plus d’argent pour être heureux ni de s’offrir une belle cabriolée…
Les biens matériels sont un peu comme l’alcool : il y a une habituation hédonique. Au bout d’un certain temps, un jour, un mois, deux mois, la nouvelle voiture si attendue et rêvée est devenue habituelle, elle est parfaitement intégrée comme faisant partie du paysage et ne procure plus le même émoi (il en est de même dans les couples, mais passons, là n’est pas le sujet…). L’être humain s’habitue très vite et la montée d’adrénaline et de dopamine est de courte durée. Qui n’a pas connu, enfant, la joie d’écrire sur un nouveau cahier tout beau tout propre, prendre grand soin de son écriture, ne pas faire de fautes… et qui à peine la première page tournée, ne se formalise plus ni sur les ratures ni sur l’écriture. Et je ne parle même pas du cahier qu’on bâcle totalement une fois « presque » terminé avec l’excitation d’en commencer un autre.
Ni l’argent ni les biens matériels ne permettent un accès direct au Bonheur. Les vies des gagnants du loto ne font pas rêver autant que nous nous l’imaginons…(eh oui, je sais moi aussi j’ai du mal avec ça mais si les études le prouvent alors…! ok, je promets je vais arrêter de pester sur la photo des personnes au large sourire tenant un immense chèque avec plus de zéros que je ne peux en supporter).
De même que l’accès à la nouvelle PS5 ! (allez ça c’est cadeau pour mes amis geek)
Et pourtant l’argent règne en maître, vous êtes sûre qu’il ne pourrait pas acheter le bonheur?
Quand un jeune dealer, orienté par la justice, me déclare : « Mais franchement Madame!!! Pourquoi vous voulez que je change ? Je gagne plus que votre salaire en une journée ? A Trente ans je vise le million ! Vrai, je change rien moi » (j’entends : c’est qui qui a besoin d’une psychologue dans ce bureau? )
Ok, creusons un peu : « As-tu des amis ? Des personnes sur lesquelles tu peux compter, en qui tu as confiance ? » (silence, plisse les yeux, se demande vraiment si je débloque, regarde s’il n’y a pas une caméra cachée) « Des amis ? Mais Madame dans mon monde y’a pas d’amis qui comptent, ça n’existe pas ça les amis ! »
« L’école ? » (je tente ; j’ai perdu toute ma crédibilité!) « l’école???? (rires) ça n’a jamais été mon truc, j’ai vite arrêté. Et puis franchement pourquoi faire des études? Pour faire un job pourri où on gagne rien (me regarde un peu comme si je n’avais pas capté le message).
« Et tu habites où ? C’est un endroit agréable ? » « J’y suis jamais Madame, je vis chez ma mère dans mon quartier, c’est tout petit, et puis ma mère ne fait que me crier dessus, je rentre quand elle dort »
« Tu fais du sport, tu as des loisirs ? » « J’aime bien le foot, j’étais plutôt bon mais j’ai pas le temps avec tout ça, je bosse quoi »…
« Est-ce que tu es heureux? » « vous verrez dans 10 ans, quand je serai dans mon jacuzzi avec des filles qui me massent le dos! Je vais pas vous mentir, j’aime l’argent! Alors pour l’instant c’est un peu la galère… »
Cette discussion est inventée et très résumée mais finalement représentative de certains jeunes que je peux accueillir, qui gagnent plus que moi c’est certain même beaucoup beaucoup !! plus mais dont paradoxalement « la vie de rêve » à la Scarface ne saute pas aux yeux.
Ce jeune travaille énormément, il prend des risques pour sa vie, sa santé. Des billets sont-ils suffisants pour remplacer du temps perdu ? Les peines de prison, qui font parties du « métier », ont-elles une équivalence temps-argent ? Existe t-il une balance décisionnelle : Ok, j’accepte d’échanger X années de mon temps de vie contre X euros ? Les coûts seraient donc moins importants ? (la même question se pose pour le travail, quelle part de votre temps êtes vous prêts à sacrifier pour gagner plus?)
(Bien évidemment, il faut prendre en compte la situation sociale, la perception pour le jeune de pouvoir s’en sortir par d’autres alternatives quand déjà il s’est senti exclu par la société, par le système scolaire…). Toujours est-il que l’argent règne en maitre et des exemples notre société moderne n’en manque pas.
Memento Mori

Nous sommes mortels : la vie ne dure qu’un temps, bref qui plus est. Rappelle-toi que tu vas mourir et que tu ne peux pas acheter du temps supplémentaire. L’argent achète tout sauf le temps de vie. Nous devons nous efforcer de ne pas perdre cet état de fait de vue : il faut vivre aujourd’hui l’instant présent, serons nous là demain? Faut-il attendre la retraite, le million, le Week-end ou les vacances? Et si le Bonheur c’était déjà d’avoir conscience de posséder ce qui ne s’achète pas : le temps. « Vis chaque jour comme si c’était le dernier » (ce n’est pas le chanteur Corneille qui a subi les atrocités du génocide Rwandais qui nous dira le contraire).
Est-ce que les personnes en phase terminale souhaitent avoir de l’argent ? Non, ce n’est qu’un moyen pas une fin en soi. Elles souhaitent être entourées, rire, appeler une personne qui leur est chère… rester vivante dans les mémoires et dans les cœurs. La question de l’héritage est une autre histoire… rappelez-vous des tabloïds dernièrement!
« Pour dire les choses simplement, notre écologie intérieure est une pagaille. Quelque part nous pensons qu’ajuster les conditions extérieures réglera toutes nos difficultés intérieures. Mais les cent cinquante dernières années ont apporté la preuve que les technologies, malgré tout le confort et les progrès pratiques qui les ont accompagnées, sont bien incapables de nous procurer le bien-être »
Sadhguru
Y a t-il des conditions nécessaires ou suffisantes au Bonheur?
Oulala … cela ressemble étrangement à un sujet de philosophie… loin de moi l’idée de vous apporter une réponse à cette question de façon précise et ferme. Mais voici quelques pistes tirées de ma pratique qui contribuent à ma réflexion.
Lors de mon travail dans le champ de l’addictologie, j’ai été amenée à rencontrer des hommes qui m’affirmaient que l’univers carcéral leur procurait (paradoxalement) un certain apaisement «vous voyez, on n’a plus à se soucier de rien, moi j’avais ma place là-bas, j’étais quelqu’un !! Je me sentais bien! Dehors je ne suis personne… c’est dur. J’étais mieux en prison. Maintenant je me sens perdu !».
La place dans un groupe, le besoin d’être reconnu, le sentiment d’appartenance apparait comme fondamental à un certain bien-être. Il fait partie des besoins de l’individu au même titre que le besoin de sécurité ou un certain confort.

Mais ne peut-on pas se pencher aussi sur le cadre ? (particulièrement dans l’univers carcéral : les portes fermées à clefs, les horaires, les droits de visite…).
Quand un adolescent déclare : « laissez-moi faire ce que je veux et je serai le plus heureux du monde!! Arrêtez d’être sur mon dos »… Il exprime son besoin de liberté, qu’on le laisse voler de ses propres ailes. Mais, et c’est là qu’il faut être vigilant, le développement de soi ne peut se faire que s’il existe des limites, des règles, un cadre. C’est en grande partie le rôle des parents.
On pourrait d’ailleurs mettre en miroir ces jeunes qui se plaignent d’avoir des parents laxistes : « Mes parents? Ils s’en fichent! Je fais ce que je veux, je sors quand je veux, on ne mange jamais en même temps, à la maison y’a pas de règles (…) ».
Les situations sont à l’opposé mais la souffrance est la même. Comment se sentir bien dans un environnement ? Quelles conditions doivent être réunies pour ces jeunes ?
Dans ma pratique, j’ai très vite compris qu’il fallait recevoir les parents. Les pratiques parentales sont décisives dans l’évolution d’un adolescent.
J’aime beaucoup l’allégorie de la coquille d’œuf (Olivier Clerc) :
Il nous dit que dans un œuf, pour qu’un poussin se développe, il baigne dans un environnement mou. Ce qui permet à l’ensemble de tenir c’est la coquille dure et suffisamment solide pour éviter que le liquide ne se répande à l’extérieur.
Le futur poussin peut alors se développer, peu à peu l’embryon mou se solidifie : le squelette apparaît et le structure intérieurement.
Lorsque le poussin est assez fort, il peut briser la coquille. Il a intégré en lui la solidité qu’elle lui apportait.
Cette belle allégorie nous dit trois choses essentielles :
-pour un bon développement, nous avons besoin d’un cadre c’est à dire une structure extérieure suffisamment contenante pour nous soutenir, nous permettre de nous développer en sécurité (les règles, les lois, les horaires à respecter…)
-ce cadre ne doit pas être étouffant, trop rigide : l’être en développement a besoin d’expérimenter, de grandir, de se cogner aux limites extérieures afin de les intégrer.
-c’est à l’intérieur de nous que nous devons être solides si nous voulons nous sentir totalement libres et cette solidité nous la tirons de l’extérieur. Si l’extérieur est défaillant, l’intérieur devient insécure et les limites floues.
On comprend ici l’importance en psychologie de permettre à la personne de se renforcer à l’intérieur.
On ne change pas l’extérieur, les situations, autrui… mais on peut aider la personne à mieux se connaître en faisant des liens avec son histoire de vie (les attachements sécures ou non qu’elle a pu connaître notamment) afin de solidifier sa « colonne vertébrale », ce qui lui permettra d’interagir de façon plus adaptée avec son environnement.
Et si ce que nous cherchons à l’extérieur se trouvait au fond de nous?
« Le vrai bonheur ne cherche pas à l’extérieur ses éléments : c’est en nous que nous le cultivons ; c’est de lui-même qu’il sort tout entier. On tombe à la merci de la Fortune, dès qu’on cherche au dehors quelque part de soi. »
Sénèque, Lettres à Lucilius